Balades, carnets de voyages, coups de coeur...

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jeudi 28 juillet 2011

2005 : le grand retour en Algérie (fin)

Jeudi 28 avril 2005 - 
Jour du grand départ…

L’hôtel Medjerda est en effervescence, encombré de bagages, de valises obèses, de sacs pleins à craquer. Et dans ce labyrinthe, le va-et-vient incessant de dizaines de Souk-Ahrassiens souriants, venus nous saluer une dernière fois, chacun voulant à sa façon nous dire son amitié et nous faire promettre de revenir.
Le trajet vers Annaba est presque aussi long qu’à l’arrivée. Nous le faisons cette fois en voitures particulières, les coffres à bagages surchargés.
Dernier plaisir sur le sol algérien, le repas que nous prenons sur la route de la corniche, au restaurant La Caravelle, anciennement Le Petit Mousse. Au menu, gambas grillées et autres spécialités délicieuses de la Méditerranée, à profusion dans nos assiettes.

Fidèle entre les fidèles, Abdelatif G. m’attend à l’aéroport, avec son épouse. J’ai droit à un petit chargement de dattes, de gâteaux, d’huile d’olive, au point que je demande si le passage en douane ne va pas poser problème. Aucun. Les douaniers sont dans de bonnes dispositions et le personnel d’accueil de l’avion accepte plus d’un bagage à mains en cabine…

Dans l’avion, l’ambiance est à la détente. Même Jean-Pierre G., qui s’est fait subtiliser son téléphone portable par un gamin dans une rue d’Annaba, semble avoir oublié sa mésaventure. Certains discutent bruyamment, d’autres se taisent, enfermés dans leurs pensées. Ils réalisent peut-être que les prochaines retrouvailles se feront cette fois avec les petits tracas d’un quotidien qui va devoir reprendre son cours. Ou alors, ils sont encore "Là-bas", de l’autre côté de la Grande Bleue, sur la Terre Natale... Et ils savourent en silence les moments exceptionnels qu’ils viennent de vivre car, après un tel pèlerinage, à côté de tout ce qui peut s’exprimer, il y a cette immense part d’indicible qui appartient au jardin secret de chacun d’entre nous... et moi, dans mon coin, je me demande bêtement si j'ai assez remercié tous ces gens qui nous ont reçus à bras ouverts, sans arrière-pensée, juste la main tendue et le coeur sur la main...


"A force d’espérer une fleur, elle finit par pousser" dit un proverbe chinois.

Ce voyage, longtemps espéré, longtemps incertain, a été la rencontre du possible avec le rêve. Ce fut, pour nous tous, une réconciliation avec une jeunesse qui nous fuyait, au point de se demander si elle avait jamais existé. Ce séjour aura eu le mérite d’être absolument authentique, au contact direct de la population. On ne va pas en Algérie comme on va en Tunisie ou au Maroc, véritables usines à touristes. La pays se présente tel qu’il est, rien n’est encore factice. C’est cette Algérie là, sans fard, lumineuse dans sa spontanéité et sa générosité, poignante dans sa vérité, que nous avons eu la chance de retrouver.

21 heures 15, heure de Paris. L’Airbus A321 s’est immobilisé devant la porte de débarquement. Un peu groggy, nous nous retrouvons dans le hall de l’aéroport. Orly le soir, c’est comme une fin de colonie de vacances... Il va falloir du courage pour reprendre le train-train de la vie quotidienne…




Bernard Scarpa (Mai 2005)


PS - Une amie d’adolescence, à qui j'ai communiqué ce texte en octobre 2005, m’a répondu ces quelques mots :

"...A la lecture de ton texte, les peurs fantômes s'évanouissent et les parfums, les saveurs qui ont bercé des jours heureux reviennent en force me rappeler que partout, la Vie est toujours la plus forte et que l'âme de tout un peuple, même dispersée aux quatre coins de la planète, vibre encore à l'appel de sa source. C'est sans doute ce qui s'appelle Avoir l'âme chevillée au cœur."

On ne pouvait trouver plus belle conclusion à ce compte rendu de voyage sans prétention.

mardi 26 juillet 2011

2005 : le grand retour en Algérie (suite 9)

Mercredi 27 avril 2005 - Dernier jour à Souk-Ahras. Journée de détente au contact direct de la population.
C’est le jeune Mohamed N., fils de notre camarade Hassen, qui nous pilote, Georges B. et moi. Une petite merveille de promenade dans les rues animées du centre-ville… légère, aérienne, souriante, insouciante … Des instants de vie inoubliables où tout paraît beau et bon. Nous sommes totalement immergés dans notre élément. « Heureux comme un poisson dans l’eau », jamais expression ne m’a paru aussi juste.

Encore quelques vues de Souk-Ahras

Je prends des dizaines de photos, je filme notre passage au marché couvert, à travers les étals débordants de fruits et de légumes. Les gens nous interpellent, nous arrêtent pour un brin de causette dont le sujet nous ramène toujours avant l’Indépendance.

Couleurs et saveurs à foison au marché de Souk-Ahras
Fraîches ou séchées, les dattes, un régal du palais

... et la version dattes écrasées, pour garnir les makrouts

Dans la rue Victor Hugo, un homme, que je ne reconnais pas, se présente à moi comme un ancien voisin de l’Avenue Jean Mermoz. Un autre nous aborde gentiment pour nous demander, dans une magnifique candeur, si nous connaissons une fille dénommée Christine qui habitait dans le quartier de la Gare, et dont il est toujours amoureux !! Mission impossible ! il ne connaît pas son nom de famille.

Le fils de Salah M. vient me dire que je dois absolument repasser chez lui avant de partir, ce que je fais en fin de matinée. Sa mère m’offre un vase et une lampe orientale. Et, venues de toutes parts, les invitations spontanées se multiplient. Je crois que je pourrais séjourner six mois à Souk-Ahras sans jamais aller ni à l’hôtel ni au restaurant !

La main à la pate, chez le marchand de zlabbias

Le soir, avec quelques membres du groupe, je suis encore invité à manger dans une famille. Et encore une fois, nous sommes reçus comme des Rois.


à suivre...

dimanche 24 juillet 2011

2005 : le grand retour en Algérie (suite 8)

Mardi 26 avril 2005 - Le 26 avril est le jour anniversaire de la bataille de Souk-Ahras de 1959. Par précaution, ou simple hasard du calendrier de visites, le groupe est invité à passer la journée à l’extérieur. Direction Guelma, antique Kalama, puis la station thermale d’Hammam-Meskoutine.

Guelma : la mosquée aux deux minarets

Guelma : une place

Guelma a la chance de posséder, en plein centre-ville, un amphithéâtre romain environné d’allées ornées d’admirables sculptures et autres poteries antiques. La mise en valeur du site témoigne de l’intérêt des autorités guelmoises pour ce formidable atout touristique. Nous effectuons la visite sous la conduite éclairée du conservateur du musée.

Guelma : vestiges romains

Notre car nous emmène ensuite à Hammam Meskoutine, autre site grandiose. Bon nombre d’entre nous découvrent la station thermale pour la première fois. Nous sommes admiratifs devant le mur de roche ciselée par le ruissellement des eaux bouillantes et l’accumulation des concrétions, des ocres les plus chauds au blanc le plus pur. L’inspiration esthétique de la nature n’a pas de limites, à moins qu’une fée ne soit passée par là…


 


A l’heure du repas, Lucien M. et moi ne résistons pas à l’odeur enfumée des brochettes d’agneau d’un marchand ambulant, malicieusement installé au coin d’un petit café. Nous nous attablons en compagnie du maire d’Hammam Meskoutine, qui tient d’ailleurs à nous offrir cet intermède gourmand.

Bon appétit !

Ce qui est quelque part un peu rassurant, pour nous qui avons connu le pays des années 50, c’est que, à côté des paraboles qui ont envahi la vie quotidienne des habitants, l’Algérie des petites gargotes, des petits épiciers, des marchands de brochettes ou de zlabbias, cette Algérie du commerce de proximité existe encore et a gardé tout son attrait et toutes ses saveurs.

Sur la route du retour, nous faisons une petite halte botanique en pleine campagne car personne ne résiste à l’envie de voir de plus près et de photographier ces petites fleurs rouges que nous appelions "gouttes de sang" et qui parsèment les prairies de larges flaques écarlates.

Les gouttes de sang

à suivre...

vendredi 22 juillet 2011

2005 : le grand retour en Algérie (suite 7)

Lundi 25 avril 2005 - Matinée de flânerie et de sortie individuelle, au gré des envies de chacun. Encore une fois, nos hôtes mettent des guides à notre disposition, avec véhicules pour les déplacements.

Personnellement, je suis accompagné par Mustapha et Abderrahmane L., les frères de Badri, deux camarades d’enfance que j’apprécie beaucoup. Avec eux, je sors un peu de la ville, sur la route de Zarouria. Les paysages sont magnifiques.

Vue générale de Souk-Ahras

En fin de matinée, Mustapha nous quitte, appelé par d’autres obligations. Il faut que je dise un mot sur Mustapha L. C’est un homme généreux, pétri de culture, qui manie la langue française avec une grande virtuosité et une évidente délectation. C’est lui qui, un soir, à l’hôtel, a offert au groupe un poème de son cru, ode au retour sur la Terre Natale, hymne aux retrouvailles. Mustapha m’a également révélé qu’il avait une grande estime pour mon oncle Georges C., alors Directeur de l’école du 58e de Ligne. Lorsqu’il a passé son Certificat d’études, mon oncle l’attendait le matin avant l’appel des candidats, pour lui donner tout le matériel nécessaire à l’épreuve de géométrie, règle, équerre, rapporteur, gomme et compas. Un enseignant d’une espèce disparue, une autre époque …

En compagnie d’Abderrahmane, je suis reçu par la famille qui occupe aujourd’hui notre maison, avenue Jean Mermoz. Je suis incapable de trouver les mots pour traduire ces instants. Retrouver des choses simples comme une cheminée, un carrelage ou une tapisserie qui n’a pas changé peut paraître dérisoire. Et pourtant … Je n’oublierai pas non plus le respect qu’avaient mes hôtes devant mon émotion.

Au groupe scolaire de Souk-Ahras

L’après-midi de ce lundi 25 avril, nous effectuons une visite collective au groupe scolaire, rue Anatole France. Autre temps fort du séjour. L’établissement a gardé son aspect originel, la même couleur sable sur les murs extérieurs, la même peinture verte aux portes et fenêtres. Au centre, entre les deux ailes qui accueillaient séparément garçons et filles, l’appartement de Madame R., la concierge au nerf de bœuf que personne n’a oubliée. Comme un poste de surveillance avancé, la pièce principale trône entre les deux porches d’entrée. Nous pénétrons dans l’établissement, côté garçons. La Directrice nous reçoit avec une extrême gentillesse. A l’intérieur, le hall d’accueil, toujours le même, et le petit bureau directorial où il ne faisait pas bon se rendre du temps de Monsieur C. ! Plus loin, les classes primaires, et les enfilades de couloirs du rez-de-chaussée. Aux étages, les salles des grands, de la 6e à la 3e, et l’évocation générale des noms de professeurs, dont la rigueur et l'exigence ont marqué nos années collège.

Petit clin d'oeil aux collégiens qui sommeillent en nous

Notre visite est pilotée par Messaoud K., aujourd’hui Inspecteur de l’Education en poste à Souk-Ahras. Dans les archives, Messaoud a déniché une carte UFOLEP de mon oncle Georges C (déjà évoqué par Mustapha L.), datée de l’année 1959-1960, et me l’a offerte. Nous arpentons les couloirs, glissons un œil dans les salles, à la recherche de notre adolescence. Les anecdotes ne manquent pas. L’heure est à la turbulence écolière et aux inépuisables "Dis, tu te souviens …". Jamais nous n’avions fait autant de bruits dans ces lieux tabous, comme une revanche légitime sur l’intransigeance passée de nos anciens maîtres d’école. Le petit gymnase du sous-sol a été transformé en salle de cours. Sous le préau, la longue rangée de robinets, où il nous était interdit de boire, est toujours là. Souvenirs douloureux d’un régime sec qui nous obligeait à reprendre les cours complètement déshydratés après des parties de « délivrance » acharnées. Dans un coin du préau existe toujours la petite porte qui menait, par un étroit couloir obscur, à la salle de cinéma où, pour quelques sous, une fois par mois, nous nous régalions des exploits des héros de l’époque. Revenir en ces lieux plus de quarante-cinq ans après avait quelque chose d’irréel...

Souk-Ahras, quelques vues au fil des rues

Au stade de foot de Souk-Ahras avec quelques champions en herbe

à suivre...

mardi 19 juillet 2011

2005 : le grand retour en Algérie (suite 6)

Dimanche 24 avril 2005 (suite) - Enfin, nous avons quartier libre…

Je suis pris en charge par Salah M. et l’inévitable homme de la sécurité. Ils ont pour consigne de me conduire où je veux. J’en profite pour retourner dans les quartiers qui ont marqué ma jeunesse. En descendant en ville, je leur demande de m’arrêter au faubourg Saint-Charles, pour faire quelques photos. Salah m’emmène ensuite chez lui. Il habite au n°5 de l’Avenue Jean Mermoz (aujourd’hui rue Ouarti Abderrahmane), dans l’ancienne propriété des frères Jean et Pierre M., là où nous étions nous-mêmes locataires jusqu’en 1962 (en face du nouveau marché couvert). Je pense que c’est pour cette raison qu’il s’est proposé de me servir de guide. Salah occupe l'un des appartements du premier étage, juste au-dessus du nôtre. Au-dessus de la grille d’entrée subsiste encore la plaque de marbre gravée "Villa Suzanne". 
Accueil chaleureux de son épouse, enseignante (Salah est directeur de banque). Demain, je serai reçu par les locataires du rez-de-chaussée.


Je me rends ensuite dans l’ancienne Rue Jules Ferry. J'y suis né, au n°11. A l’intérieur, je suis reçu par deux vieilles dames, dont une centenaire, qui assurent très bien se souvenir d’Éliane, ma mère. Dans le même quartier, je rencontre un ami d’enfance de Jean-Pierre C., Abdelkader A., qui me demande de tout faire pour le mettre en relation avec son ami. Cette anecdote est un exemple parmi tant d'autres de cette soif de retrouvailles...

Et puis, nous voilà Rue Victor Hugo, aujourd’hui Rue de l’ALN. Cette première descente à pied de l’ancienne place du Monument aux Morts vers la place Thagaste, fut un vrai délice. J’étais emporté dans un tourbillon, totalement immergé dans les odeurs, les cris de la rue, les bruits d’une circulation dense et anarchique. Et partout, autour de moi, les visages avenants des habitants qui comprenaient que j’étais du pays, qui prenaient plaisir à engager la conversation, à me souhaiter la bienvenue, à m’interroger sur ma famille. J’avais même l’impression de lire des mots de bienvenue dans l’invisible de la pensée de ceux qui ne parlaient pas et me regardaient comme une bête curieuse.


Mythique à plus d’un titre pour tous les anciens Souk-Ahrassiens, la rue Victor Hugo était un lieu de rencontre et de convivialité. Aujourd’hui, les magasins existent encore, dans la même succession qu’avant l’Indépendance. En les revoyant, chaque porte d’immeuble, chaque devanture prend une identité particulière, auréolée d’un passé tissé d’intimité et de sentiments. Le Lion d’Or, qui n’est plus un magasin de tissus mais un café ; l'ancien café de Michel N. qui a gardé sa vocation de rendez-vous des footballeurs ; le Gagne-Petit le salon de coiffure de Jeannot R., aujourd’hui boutique de sport tenu par un ancien footballeur de l’ESSA (L’Entente Sportive Souk-Ahrassienne)… L'ESSA : je pourrais en parler pendant des heures de cette équipe de football ! de ses "Diables rouges" de talent qui faisaient trembler les plus grandes formations de l'Est algérien et qui nous ont procuré d'inoubliables moments d'émotion !

Devant l’ancien magasin de M. Bartolo, l’espace de quelques secondes, j’ai eu 7 ou 8 ans, revoyant en vitrine le petit camion de pompiers Renault que le Père Noël avait fini par m’apporter… On vendait de tout chez Bartolo, de la casserole en alu au bibelot et à la déco ringarde, en passant pas les sacs de billes agate et les élastiques carrés pour nos tawats (lance-pierres de fabrication maison). Le magasin Bartolo était une vraie Samaritaine petit format, à la mesure de Souk-Ahras. D’ailleurs, maintenant que j’y repense, l’enseigne ne s’appelait-elle pas pompeusement « Le Bazar du Globe » ? Oui on trouvait vraiment de tout chez Bartolo, mais parmi la multitude d’articles hétéroclites, il y avait surtout ce petit camion de pompier, rouge feu, qui me fascinait, et que j’admirais tous les jours, à l’approche de Noël, en priant le Ciel pour le trouver au pied du sapin. Non seulement le Père Noël a exaucé mon vœu mais ce jouet est l’un des rares objets de mon enfance que j’ai ramenés dans mes modestes bagages, quand nous avons quitté l’Algérie, en 1962. Et aujourd’hui, à l’heure où j’écris ces lignes, il est là devant moi, sur un coin de mon bureau.
Avec le temps, dans la Rue Victor Hugo ou ailleurs dans les autres quartiers de la ville, beaucoup de commerces ont changé de vocation, d’autres subsistent encore, souvent tenus par les descendants de ceux que nous avons connus. Chacun de nous se souvient par exemple de la librairie papeterie Bousdira, là où nous achetions nos livres et nos cahiers d'écoliers, nos crayons et nos plumes Sergent Major, où nos parents prenaient chaque jour leurs journaux, comme la Dépêche de Constantine, l'Avenir de Souk-Ahras ou Souk-Ahras Républicain. Cette librairie est toujours à la même place, et entre les mains de la même famille. J’y ai même vu, en exposition sur les rayons, des boîtes de jouets des années 50, invendus, et conservés aujourd’hui comme des reliques.


Quant à la Place Thagaste, avec ses cafés et ses commerces tout autour, elle est toujours aussi belle et aussi animée. De part de d’autre du kiosque à musique ont été installés les lions de la Basilique Saint-Augustin (qui n’existe plus aujourd’hui, une immense mosquée ayant pris sa place). A travers le feuillage des platanes majestueux, j’ai aperçu l’enseigne de l’Hôtel d’Orient, sans savoir exactement si l’établissement fait toujours fonction d’hôtel. Quant au Café de Marseille, il s’appelle aujourd’hui Café d’Alger, et l’apéro que nous y avons pris ce soir-là avait des saveurs de Café des Délices !


à suivre...

vendredi 15 juillet 2011

2005, le grand retour en Algérie (suite 5)

Dimanche 24 avril 2005 - ... Autre moment fort de notre séjour consacré à notre première visite au cimetière de Souk-Ahras.
En attendant l’arrivée de Monsieur le Consul Général de France à Annaba, nous faisons une halte au TCSA (Tennis Club de Souk-Ahras), tout proche, où nous attendent rafraîchissements et gâteaux. S’il est un lieu que j’ai beaucoup fréquenté dans ma jeunesse, c’est bien celui-là. L’allée ombragée, le club-house environné de fleurs et de verdure, les trois courts de terre battue, tout est intact et parfaitement entretenu. Le verre qui nous est offert, sous un ciel radieux, rappelle les grandes heures d’antan, lors du grand tournoi annuel par exemple.
Au cours de cette réception, nous faisons la connaissance du Wali de Souk-Ahras (préfet). Moi, je retrouve AbdelMajid K.. A l’époque, il était ramasseur de balles et tennisman débutant. Il s’est parfaitement souvenu de moi et m’a rappelé la passion de mon oncle Antoine et ses coups de colère sympathiques quand la réussite le fuyait sur le court. AbdelMajid a gardé le même sourire et la même spontanéité chaleureuse. Très vite s’est installée entre nous deux cette complicité qui unit les vieilles connaissances.
La veille de notre départ, j’étais invité à dîner dans une famille et je suis rentré très tard à l’hôtel. AbdelMajid m’y attendait… pour m’offrir une petite bouteille remplie de terre battue du tennis ainsi qu’une coupe qu’il avait peut-être lui-même gagnée lors d’un tournoi.

Un petit passage au tennis...

Après ce passage au tennis, nous nous rendons au cimetière. Le calme des lieux contraste avec l’agitation joyeuse du tennis. Nous sommes frappés par la propreté et le silence respectueux qui y règne. En présence de nombreuses personnalités (Consul, préfet, député et autres) et d’un service d’ordre renforcé, a lieu une émouvante cérémonie en l’honneur de Brahim T.. Aujourd’hui disparu, Brahim fut gardien du cimetière avec Ernest M. (le frère de ma grand-mère paternelle). Après l’Indépendance, il a poursuivi ses activités d’entretien, tout seul, et c’est certainement grâce à lui que ce cimetière fait partie des mieux entretenus d’Afrique du Nord. Aujourd’hui, c’est son fils, Ramdan, qui a pris la relève. Une plaque, offerte par le groupe, a été apposée sur un mur, près de l’entrée. Les officiels font ensuite une marche silencieuse dans les allées principales, tandis que bon nombre d’entre nous partent à la recherche des tombes de leurs disparus.

... puis au cimetière de Souk-Ahras

Le repas de ce dimanche 24 avril nous est servi à une douzaine de kilomètres de Souk-Ahras, sur le site grandiose du barrage de Hannecha, une retenue d’eau de 83 millions de mètres cube pour les besoins de la ville de Souk-Ahras. Repas en plein air, dans tous les sens du terme. Comme disent les paysans normands, il fait un vent à décorner les bœufs !! Les assiettes volent mais nous arrivons tout de même à absorber quelque chose !

Repas en plein air au barrage d'Hannecha

Nous poursuivons ensuite vers les ruines de Krémissa. Autre site romain qui vaut surtout par son amphithéâtre en parfait état de conservation.Retour à Souk-Ahras vers 16h.



à suivre...

mercredi 13 juillet 2011

2005, le grand retour en Algérie (suite 4)

Samedi 23 avril 2005 - ... Journée à Madaure. Le site romain de Madaure se trouve à une quarantaine de kilomètres de Souk-Ahras, en direction du sud (vers Tébessa). En chemin, nous faisons une halte sur l’ancienne ferme B., oasis de verdure et de fraîcheur.


Nous faisons le trajet en car, toujours sous bonne escorte. La route est cahoteuse. Les voies de communication ont beaucoup souffert de la rigueur du dernier hiver. Glissements de terrain et effondrements de chaussée rendent parfois la progression des véhicules très délicate.

Autre image frappante, on ne compte plus le nombre d’habitations inachevées et occupées en l’état. Ceci n’est pas particulier à Souk-Ahras et sa région, nous l’avons constaté partout depuis notre arrivée à Annaba. L’Algérie est un immense chantier en attente de finition. Dans les campagnes, les gourbis que nous avons connus sont aujourd’hui en parpaings, mais toujours aussi rudimentaires. La seule innovation apparente, c’est que la moindre masure est surmontée d’une parabole, qui permet de capter des dizaines de chaînes de télévision.

A Madaure, les vestiges romains sont toujours bien conservés, même si parfois la friche prend le dessus. Les autorités ont à coeur de mettre en valeur ce patrimoine historique et la ferme volonté d’aménager le site qui pourrait être un formidable atout touristique. Encore faudrait-il à proximité des infrastructures pour accueillir les visiteurs.


A notre retour, vers 18h, une vieille femme se présente devant l’hôtel, accompagnée de ses deux fils. Elle a appris que Anne-Marie L. et son frère Yves faisaient partie du groupe et elle est spécialement venue d’Aïn-Senour pour les retrouver. Elle s’appelle Jemma. Pendant des générations, les deux familles ont vécu côte à côte. Jemma a élevé Anne-Marie et Yves, leur nounou en quelque sorte. En 1962, la famille L. voulait même l’emmener en France. Tiraillée par ce choix difficile, Jemma est finalement restée au pays. Pendant des années, Jemma s’est rendue régulièrement au cimetière d’Aïn-Senour pour entretenir le caveau de la famille L.. "Nous avons correspondu longtemps, et puis un jour, nous avons perdu sa trace, raconte Anne-Marie. On nous avait même dit qu’elle était décédée". Le moment des retrouvailles se passe de commentaires...

à suivre...

lundi 11 juillet 2011

2005, le grand retour en Algérie (suite 3)

Vendredi 22 avril 2005 (suite) - ... La dernière visite de cette matinée prolongée est consacrée à l’ancien Hôtel de ville, situé Rue Laurent Rose (rue qui a bien sûr été rebaptisée). Actuellement en cours de rénovation, le bâtiment, d’une architecture remarquable, abritera bientôt le musée de la ville, tout entier consacré au passé romain de Thagaste. Nous en visitons l’intérieur mais le chantier actuel ne nous donne aucune idée de son aspect futur. Pour mémoire, je rappelle que Thagaste est le nom porté par notre ville au temps de l’occupation romaine (Saint-Augustin, berbère converti au christianisme, est né à Thagaste en 354). Pour autant, le terme de Thagaste est un emprunt au Grec et signifie "Aimée des Dieux" dans la langue d’Aristote.



Quand nous rentrons à notre hôtel, le Medjerda, l’après-midi est déjà bien entamé. Sur notre passage, la ville est en effervescence. Nous sommes agréablement surpris par l’aspect extérieur, plutôt flatteur, de l’établissement qui nous hébergera pendant une semaine, mais en toute franchise, le confort intérieur n'est pas à la hauteur. En attendant, nous devons faire honneur au couscous royal qui nous attend.
L’hôtel Medjerda est situé dans un quartier populeux. Nous avons du mal à concevoir que, dans le temps, s’étendait ici le camp d’aviation. En face de l’hôtel, un terrain vague couvert de véhicules, dont une nuée de taxis jaunes. Un peu plus loin, le nouveau stade de football avec pelouse d’un vert éclatant et piste circulaire en tartan (l’ancien stade, au pied du Tagtagui, existe toujours). Tout autour, des cités à n’en plus finir…

En fin d’après-midi, après une courte sieste, on nous propose une promenade en car dans les rues de Souk-Ahras car nous n’avons finalement encore pas vu grand-chose de notre ville, à part l’Olivier, l’ancienne mairie et la façade du théâtre. Après les nouveaux quartiers, nous entrons dans la vieille ville et là, les lieux connus nous sautent aux yeux. Le faubourg Saint-Charles, le pont de chemin de fer de la route de Tiffech, l’ancien immeuble de la SNCF. Sur la gauche, j’ai juste le temps de deviner l’avenue Jean Mermoz, où j’habitais, mais déjà, nous approchons de notre fameuse rue Victor Hugo ! Dans le car tout le monde est agrippé aux fenêtres, comme des gamins en colonie de vacances. Les magasins défilent. L’excitation est à son comble. Chacun y va de son petit souvenir. Les images resurgissent du passé, fugaces et pourtant si présentes. J’ai l’impression d’être l’objet d’une magie surréaliste. Tout va très vite. Voilà déjà la place Thagaste, que nous avons à peine le temps d’apercevoir. Le car a enfilé une rue adjacente pour remonter par l’ancienne rue Anatole France et passer devant le Groupe scolaire. Autres instants d’émerveillements et de souvenirs ! … Mme Rouget… M. Caviglioli… et tous les maîtres d’école de notre enfance…
La soirée s’achève en apothéose avec un orchestre de musique andalouse, invité à l’hôtel en notre honneur. La salle est bondée. Notre présence à Souk-Ahras semble maintenant connue de toute la ville. Spontanément, des anciens camarades de classe ou de quartiers sont venus nous voir et les discussions n’en finissent pas. Nos hôtes semblent vivre la même émotion et la même excitation que nous.




Cette première journée nous a donné un aperçu de l’hospitalité des Souk-Ahrassiens. Avec une grande intelligence de cœur, personne n’a fait la moindre allusion aux « événements » qui ont été douloureux pour nos deux communautés. Il n’a été question que de retrouvailles et d’amitié ressuscitée.


à suivre...

vendredi 8 juillet 2011

2005, le grand retour en Algérie (suite 2)

Vendredi 22 avril 2005 (suite) - ... Et puis voilà Aïn Senour. Pour nous tous, Aïn-Senour, c’est la source d’eau de Seltz et les haltes que nous faisions immanquablement lors de nos déplacements vers Bône. Elle est toujours là ! Évidemment, l’arrêt est obligatoire, presque religieux. Mi pétillante, mi salée, l’eau rafraîchit nos gosiers altérés et nos nuques raidies par l’inconfort du trajet. Pour chacun, le moment est solennel.A la queue leu leu, comme des enfants, nous passons tous à l’abreuvoir.
Quelques centaines de mètres plus loin, nous faisons un second arrêt car des membres de notre groupe  ont reconnu leur maison respective. Un homme s’approche et reconnaît un membre de notre groupe, un de ses camarades d’enfance. Premières effusions, premières embrassades, premiers instants de grosse émotion sous les yeux d’une foule de curieux. Et nous vivrons bien d’autres moments forts comme celui-là.

A l’entrée de Souk-Ahras, nous avons du mal à trouver des repères, tant le paysage urbain est bouleversé. Nous n’entrons pas par la route que nous connaissions, celle du «Tournant de la mort ». Souk-Ahras a décuplé de volume. C’est assez impressionnant. Aujourd’hui, c’est une quatre voies, plutôt cahoteuse, qui entre dans la ville. L’image de petite ville calme que nous avions gardée est laminée par la densité des nouveaux quartiers, l’importance de la circulation, le nombre de personnes qui se pressent dans les rues, telles des abeilles dans une ruche. Nous passons devant d’immenses silos à grain, construits, paraît-il, par un groupe italien.


Il est 12h15 lorsque nous stoppons devant les bâtiments de l’Assemblée Populaire Communale, la nouvelle mairie.
L’accueil dépasse tout ce que nous avions pu imaginer. L’instant est royal. Nous sommes littéralement chavirés. Bonjour l’émotion ! Chaque membre est accueilli avec une rose. Le maire et les membres du Conseil municipal sont là, ainsi que de nombreux invités, et au milieu de l’esplanade, un orchestre de musique orientale donne allégrement du décibel. Les bras s’ouvrent en signe de bienvenue. "Vous êtes chez vous… Soyez les Bienvenus". Les membres de l’association Le CRI (Club de Réflexion et d’Initiatives) sont là, eux aussi. Le président de cette association, le Docteur Badri Loudjani, qui a préparé notre séjour, ne sait plus où donner de la tête pour accueillir ses hôtes, un par un. C’est lui qui a tout organisé sur place. Il sera d’ailleurs omniprésent durant toute la semaine et nous devons lui rendre hommage.


Après la traditionnelle photo de groupe, nous pénétrons dans la salle du Conseil. La réception prend un caractère très officiel. Discours solennel du Maire, Président de l’APC, M. Houmana Boularesse, mot d’accueil de Madame Wafia Adel, Directrice de la Culture, qui nous guidera dans nos visites futures, de Madame Maméria, chargée d’Études au Ministère de la Communication et de la Culture. Courtes allocutions du président de notre association et de moi-même, au nom du groupe, pour dire notre plaisir et notre émotion de redécouvrir une ville qui nous a vus naître et grandir. Pour le Maire de Souk-Ahras, nous ne sommes pas des touristes ordinaires. "Pour nous, dit-il, vous n’êtes même pas des touristes. Vous êtes tout simplement des Souk-Ahrassiens, vous résidez ailleurs et vous revenez chez vous."

Après quelques rafraîchissements et gâteaux, nous nous rendons au pied de l'Olivier de Saint-Augustin, tout proche.
Auréolé de sa devise latine "Labuntur anni illa viret", l’Olivier de Saint-Augustin, vert et majestueux, est toujours posté en sentinelle sur sa petite colline, à deux pas de l’ancienne poudrière. En vis-à-vis, une magnifique mosaïque de Saint-Augustin, adossée au mur de la poudrière.

Tout autour, la ville a grandi et étale son activité foisonnante. Dans une boulimie effrénée, le béton de Souk-Ahras dévore les grands espaces incultes, modifiant complètement la topographie des lieux. Là où il n’y avait que terres et maquis s’agglutinent aujourd’hui des myriades de constructions nouvelles pratiquement toutes médaillées de paraboles, signe des temps modernes, mais qui furent longtemps considérées comme sataniques. Le pays est en proie à une démographie galopante. Comme dans toutes les villes d’Algérie, la population de Souk-Ahras a explosé et frise les 200 000 âmes, avec un très fort pourcentage de jeunes de moins de 20 ans. Les établissements scolaires fleurissent dans tous les quartiers. La ville possède aujourd’hui une douzaine de collèges, huit ou neuf lycées, et une université flambant neuve qui vient d’ouvrir ses portes.

Comme un phare à l’entrée d’une rade, l’Olivier domine une immense vague de pierre et de béton coloré. En contrebas, vers la vieille ville, le marabout de Sidi Messaoud offre toujours sa coupole blanche aux rayons du soleil. Nous y faisons d’ailleurs une halte dans la fraîcheur de sa cour intérieure, accueillis pas la galette et le petit lait, à la mode orientale.

à suivre...

mercredi 6 juillet 2011

2005, le grand retour en Algérie (suite 1)

Accueil à Annaba

Soirée entre amis

Vendredi 22 avril 2005 - Malgré le petit acompte d’Algérie pris sur le sol bônois, et pour moi à Azzaba, le vrai voyage a commencé avec notre départ en car à Souk-Ahras, le vendredi matin 22 avril. Ce matin-là, dès 8 heures, j’ai retrouvé l’intégralité du groupe devant un hôtel avec vue plongeante sur la baie d’Annaba. Après un arrêt en centre-ville, nous prenons, enfin, la direction de Souk-Ahras. Trajet épique qui dure près de trois heures ! Comme au « bon vieux temps », notre car est escorté par deux voitures de la gendarmerie. Le Wali de Souk-Ahras (Préfet) nous dira plus tard qu’il n’y avait vraiment aucun danger mais qu’il ne voulait pas prendre de risque avec notre sécurité (sic). Le véhicule de tête, tous gyrophares allumés, nous ouvre la route. A la sortie de la ville, la pancarte indiquant la direction de Souk-Ahras me plombe la poitrine.
Nous quittons Annaba sur une dernière image de la magnifique basilique d’Hippone, perchée sur les hauteurs.

Basilique d'Hippone (Photo Internet)

Les faubourgs sont interminables. La ville a étendu ses tentacules sur des kilomètres, mais c’est une image de désordre qui prédomine. On ne semble pas s’être trop préoccupé des règles élémentaires d’urbanisme. Enfin, après le béton, la plaine s’ouvre devant nous. Le franc beau temps est revenu, chassant la grisaille du premier jour. Sous le soleil, les paysages sont magnifiques. La route nationale, cahoteuse, est suivie comme son ombre par la voie ferrée qui conduit tout droit à Souk-Ahras et qui file ensuite vers la Tunisie. Partout où les cigognes ont pu percher un nid, elles protègent leurs couvées printanières. Les orangers et les mimosas sont en fleurs. Les champs d’oliviers sauvages succèdent aux figuiers de Barbarie. Le retour aux sources commence vraiment… La vie est belle !

A perte de vue, la plaine de Bône déroule ses champs de verdure. Parfois un îlot de palmiers ou quelques bâtiments abandonnés …Les pluies abondantes du dernier hiver, ont apporté au sol une humidité bienfaitrice. La végétation explose de verdure, effaçant toutes les images de pays aride qui auraient pu rester dans nos mémoires. Dans toutes les agglomérations, des immeubles type « cages à poules » ont poussé comme des champignons.

Vue d'avion sur la plaine d'Annaba.
Au centre, une cité nouvelle, comme il en existe aujourd'hui des milliers en Algérie,
après le boom démographique et la désertification des campagnes

La route est longue. Nous ne serons pas épinglés pour excès de vitesse ! Notre petit convoi avance à 60 km à l’heure ! Une allure de facteur qui nous donne largement le temps d’admirer le paysage mais qui nous oblige aussi à téléphoner plusieurs fois à Souk-Ahras pour faire patienter les Officiels qui nous attendent.


Insensiblement, le paysage se met à changer. La plaine cède la place aux premiers mamelons de rocaille. Et puis, les reliefs deviennent plus présents, le paysage plus montagneux, prenant à la fois des allures de Massif Central et de Vercors, livrés aux chèvres et aux moutons gardés par de jeunes bergers impassibles. A travers la vitre sale, dans le véhicule qui nous secoue sans ménagement, je risque quelques photos, tout en sachant bien que j’aurai bientôt beaucoup plus de temps pour m’appliquer et assurer un meilleur résultat.

Paysage à l'approche de Souk-Ahras 

Les barrages et les contrôles militaires sont incessants. Le pays tout entier est sous haute surveillance. Notre escorte est notre sauf-conduit. Nous passons sans problème. Les seuls contretemps résultent de l’attente, parfois longue, de la relève militaire, à l’entrée de chaque nouvelle willaya.

Dans le car, sur toutes les lèvres, Souk-Ahras commence à se conjuguer à tous les temps. Une fébrilité générale monte en puissance. Les anecdotes fusent, les souvenirs des uns encourageant ceux des autres. On sent que notre ville approche. Le car s’essouffle dans l’ascension sur Laverdure (aujourd’hui Mechrouha). Je me demande si la route escarpée, tracée à flanc de montagne, ne va pas avoir raison de sa mécanique fatiguée. Aux alentours, les chênes-lièges sont toujours présents mais l’agglomération de Laverdure est méconnaissable. Nous sommes effarés par l’extension qu’ont pris les plus petits villages. A Laverdure, nous dit-on, on va aujourd’hui à l’école jusqu’au bac ! Nous nous apercevons en fait que les campagnes sont désertées et que les populations se regroupent, grossissant le moindre village, en créant de nouveaux.


à suivre...

lundi 4 juillet 2011

15635 jours après...
le grand retour en Algérie

"A force d'espérer une fleur, elle finit par pousser" (proverbe chinois)

Jeudi 21 avril 2005 - Il était exactement 16 h 50 lorsque j’ai senti les roues de l’avion s’écraser sur le tarmac de l’aéroport d’Annaba. Déjà, par le hublot, j’avais aperçu les Salines, quelques bâtiments, et surtout les lignes droites des pistes, longues langues de béton environnées d’espaces incultes. Il n’était pas besoin d’être devin pour savoir que chacun de mes compagnons de voyage vivait cet instant avec la même intensité.

15635 jours après ce 1er juillet 1962, j'allais remettre le pied sur le sol natal...
42 ans, 9 mois et 20 jours !...

Pourtant j’avais toujours pensé que pour moi, la boucle était bouclée. Parce que l’Histoire raconte que le 14 juin 1830, les premiers soldats français ont mis le pied en Algérie sur la plage de Sidi-Ferruch (chaussés de bottes de cuir noir, d’où, paraît-il, l’expression de Pieds-Noirs). Et le hasard a voulu que, en juin 1962, ma famille et moi avons traversé la Méditerranée, dans l’autre sens, sur un vieux raffiot du nom de Sidi-Ferruch! Je croyais que c’était un signe du Ciel et que jamais je ne reverrais ce pays. Mektoub! Le destin est plus fort que tout.
A la descente d’avion, mon premier geste fut de toucher le sol avec ma main droite, comme une caresse. Un geste explicite, qui a fait dire à un employé de l’aéroport, tout près de moi « Monsieur, vous revenez chez vous ? » Là, j’ai pris conscience que j’entrais dans un espace connu et ami…

Une place à Annaba

Mon ami Abdelatif G. m’attendait à l’aéroport. Aujourd’hui médecin à Azzaba (Jemmapes), il tenait absolument à me recevoir chez lui au moins une soirée. J’ai donc quitté le groupe. Avant de prendre la route d’Azzaba, nous avons fait, en voiture, un large tour dans la ville de Bône, aujourd’hui Annaba. Mon guide m’a montré tout ce qui pouvait évoquer des souvenirs. Le cours Bertagna, le théâtre, le stade de football où nous allions voir l’ASB et la JBAC, la route des plages, et les quartiers nouveaux … Grâce à lui, j’ai pu entrer dans l’enceinte du Lycée Saint-Augustin, où j’étais pensionnaire de 1958 à 1961, section École Normale. La promenade dans les allées, les cours et les salles d’étude, avait la solennité d’un pèlerinage.


La gare d'Annaba


A Azzaba, la soirée fut familiale : couscous et retour sur le passé commun. Le lendemain matin, j’ai ouvert la fenêtre sur le jardin et le parfum des fleurs d’oranger a envahi ma chambre. Immédiatement, cela m’a replongé des décennies en arrière. Je crois que, plus que les images, les odeurs ouvrent grand les portes de la mémoire...


à suivre...